Promesse – conte

Réard se tenait sur le seuil de la porte. Il était accompagné de sa fille, Emma. Elle était la prunelle de ses yeux depuis le décès de sa femme, dix ans auparavant. Depuis, il l’avait élevée seul dans leur propriété, au sud de Chasternay. Il avait préféré attendre avant de la présenter à la cour du roi Liquen, souhaitant lui épargner une vie de futilité, si loin du caractère de la jeune fille. Il aurait mieux fait de l’amener dès son plus jeune âge à Lynmesse, les murs de la capitale auraient pu la protéger et ils ne se retrouveraient pas à Falchia, cette petite bourgade située à deux heures au sud de Matricia, capitale dantoplyenne.

La doyenne du clan Nampot les pria d’entrer et les invita à s’asseoir, ce qu’ils firent. Elle était grande et sèche ; elle devait avoir plus de soixante ans étant donné le nombre de rides qui foisonnaient sur son visage. Elle semblait dure. Elle observa un long moment ce noble chasternay : il n’était plus tout jeune mais avait conservé une certaine prestance, des cheveux gris ornaient ses tempes, l’inquiétude et le chagrin avaient rendu sa bouche et ses charmants yeux bleus tombants. Sa fille, quant à elle, lui laissa une drôle d’impression : elle était belle, joliment vêtue dans sa longue robe crème, un châle de dentelle posé sur les épaules. Par contre, elle était menue et son bassin semblait étroit, cela poserait problème lorsqu’elle donnerait naissance. Elle avait hérité de la forme du visage de son père. Elle était pâle, et ne souriait pas. Son regard bleuté paraissait vide.
Réard avait expliqué la situation à la doyenne et ils se rencontraient pour la première fois afin de conclure une alliance entre les deux familles. Néanmoins, si sa fille s’y opposait, rien ne pourrait avoir lieu ; il avait conclu un marché avec elle dès son plus jeune âge : une fois adulte, elle aurait le loisir de choisir son époux. Et même si les événements avaient rendu cette promesse caduque et une union rapide obligatoire, il n’irait pas contre la volonté de sa progéniture.

Un homme entra et se présenta sous le nom d’Oliam. Il avait bien huit ans de plus qu’Emma. Il était élancé mais malgré tout musculeux, son visage était marqué par le soleil. Ses joues étaient creusées par les soucis. Pourtant, ses yeux, aussi noirs que ses cheveux, avaient conservé une expression rieuse.
La jeune fille l’observa attentivement. Elle ne souriait pas et ses traits ne montraient aucune émotion. Elle détourna le regard quand il posa le sien sur elle.
Ils partagèrent un copieux repas, composé principalement de légumes ainsi que de fruits du pays. La doyenne et Réard firent la conversation puisqu’aucun des jeunes gens ne s’adressèrent la parole. Une fois le déjeuner terminé, Oliam proposa à Emma une promenade. Elle le suivit sans enthousiasme.
Il ne l’emmena pas vers le village. Il se dirigea vers la forêt et emprunta un sentier ombragé. Elle le suivit tout en gardant une certaine distance. Il pénétra sous le feuillage émeraude des arbres, laissant passer la lumière diaphane mais aussi la douce chaleur du soleil. Elle hésita à continuer, elle ne se sentait pas à l’aise : il n’était qu’un inconnu et elle ignorait où il la conduisait. Elle s’arrêta, jeta un œil derrière elle, les habitations étaient encore en vue mais plus pour très longtemps.

Oliam, n’entendant plus les pas de la jeune fille, se retourna et la vit à quelques mètres derrière lui, elle regardait alternativement l’orée du bois puis lui. Il soupira. L’apprivoiser lui prendrait du temps et de l’énergie, cependant il s’en savait capable pour ses fils, ils avaient besoin d’une mère. Et quitte à prendre épouse, autant qu’elle soit agréable à regarder.
En quelques enjambées, il la rejoignit et lui tendit une main qu’elle ne prit pas. Elle tressaillit lorsqu’il précisa :
« Je ne vous ferai aucun mal. Je tiens à discuter avec vous des modalités de notre alliance. J’estime que cette partie ne regarde en rien la doyenne, pas plus que votre père. Et puis, c’est l’occasion de vous montrer l’endroit où nous vivrons si vous acceptez notre union. »
Elle ne le regarda pas dans les yeux, elle en était incapable, son regard était trop sagace à son goût, elle avait la sensation qu’il lisait en elle comme dans un livre ouvert. Elle passa devant lui, toujours sur ses gardes.

Ils arrivèrent rapidement au bord d’un lac. Brusquement, l’air devint plus frais. Les traits d’Emma se détendirent soudain et un sourire fugace éclaira son visage.

Non loin, Oliam lui montra une maisonnette cachée par les arbres. Il y vivait avec ses deux fils, du moins, lorsqu’il ne partait pas en mer. Ils n’y pénétrèrent pas. Au lieu de cela, il lui proposa de s’asseoir sur le rivage, ce qu’elle accepta. Elle conserva malgré tout une distance prudente et, avant que son regard ne se perde dans l’eau claire, il entreprit de lui exposer la situation :
« Je connais votre situation et la manière dont cela s’est produit… vous m’en voyez désolé pour vous. »
Elle ne dit rien, blêmit et ne le regarda à aucun moment.

Il poursuivit :
« Il faudra donc fêter nos noces rapidement. Si nous nous unissons, l’enfant que vous portez sera le mien aux yeux de tous et je m’engage à l’élever et à l’aimer comme tel.
— Comment expliquerez-vous la différence entre la date de conception et nos épousailles ? Tout le monde saura…
— Rassurez-vous, lorsque le chancelier Hobgomion a dirigé votre père vers notre clan, il a pris cela en compte. Il y a deux mois, je me suis rendu à Thalieste, port chasternay dans lequel mon capitaine se rend souvent pour affaires. La propriété de votre père n’est pas très loin et Réard nous a dit qu’il vous arrivait d’y faire des emplettes.
— Pour tous, on se serait rencontrés là-bas ? Et nous aurions…
— Pas nous. Ce serait moi le fautif, j’aurais compromis votre réputation, après vous avoir fait la cour, bien entendu.
— J’ai donc le choix de passer pour une dépravée ou pour une idiote ?
—Vous êtes jeune, votre père vous a couvée, on ne vous verra pas comme une idiote mais comme une jeune fille inexpérimentée dont j’ai profité.
— Donc vous serez le méchant dans cette histoire ?
— Mon clan me blâmera pour ma faute mais en vous épousant, je la répare. La cohérence de notre histoire vous convient-elle ?
— Vous avez pensé à tout, on dirait… merci. »

Elle lui jeta un regard rapide, il lui sourit. Puis il reprit :
« J’aimerais encore aborder un point important avec vous.
— Je vous écoute.
— Notre mariage sera de convenance, précisa Oliam. Nous vivrons ensemble, nous partagerons notre couche, seulement, étant donné que nous ne nous connaissons pas, notre relation ne sera en aucun cas charnelle, du moins dans les premiers temps. Si par la suite nous développons une attirance l’un envers l’autre, nous pourrons tenter un rapprochement… à condition que cela soit réciproque.
— Votre proposition est séduisante. Mais quel en sera la contrepartie ? demanda-t-elle se sentant rougir.
— Il n’y en a pas. La seule obligation que vous aurez envers moi est de me rester fidèle jusqu’à mon décès. Cela veut dire que, même si vous vous amourachez d’un homme, vous n’aurez jamais le droit de céder à votre impulsion, pas davantage d’en parler. Les lois dantoplyennes sont très strictes là-dessus : l’adultère est puni de peine de mort. Si vous acceptez le marché, vous vous enchaînez à moi et à mon clan, aucune échappatoire possible ni pour vous, ni pour moi.
— Vous ne partagerez jamais la couche d’aucune femme? lança-t-elle d’une voix que la gêne avait rendue faible. Pas même d’une fille de mauvaise vie ? Vous êtes pourtant un homme, vous avez des besoins…
— Mon épouse est décédée depuis presque deux ans, répondit-il en rougissant. Depuis, je n’ai pas ressenti ce genre de besoin. Autrement, j’aurais pris depuis longtemps une autre épouse, les offres ont été nombreuses.
— Pourquoi les avoir rejetées ? Pourquoi accepter maintenant, avec moi ?
— Parce que j’ai encore besoin de temps pour oublier. Je ne désire pas de femme. Soyez une compagne de cœur, une amie avec qui je pourrais partager de bons moments, me confier et vous écouter en retour, je ne vous en demande pas plus. Je cherche avant tout une mère pour mes fils.
— M’occuper d’eux sera difficile, je ne me suis jamais chargé d’enfant. Je ne sais pas non plus cuisiner ou tenir une maison… nous avions des domestiques…
— Ici, nous n’avons pas d’esclaves comme dans le sud de Chasternay. Pas non plus de domestiques qui font le travail à notre place. Par contre, nous pouvons embaucher des aides. Dans un premier temps, ma jeune cousine, Alice, viendra vous aider : elle s’exerce à l’art de tenir une maison, cela lui permettra de mettre en pratique ses leçons. Votre père nous disait que vous appreniez rapidement, je ne doute pas que vous parviendrez à maîtriser promptement les différentes facettes inhérentes au foyer familial. Quant à la cuisine, la Doyenne s’est proposée afin de vous instruire sur le sujet, elle est parfois dure mais si vous y mettez de la bonne volonté, cela se passera bien. »

Emma ne prononça pas un seul mot. Elle méditait les paroles d’Oliam. Elle n’avait jamais envisagé ainsi sa vie, elle l’avait vu davantage spirituelle, elle s’était imaginée mariée à un noble chasternay, déléguant aux domestiques les tâches ménagères pendant qu’elle courrait après d’insolites ouvrages à reliure de cuir, organisant des dîners-débats à la cour du roi Liquen. Elle aimait lire, elle ne pourrait plus le faire, l’existence que lui proposait le clan Nampot l’épuiserait rapidement, la ferait vieillir prématurément et la rendrait aussi maigre et sèche que la Doyenne. Elle ne serait plus rien. Plus que l’esclave d’une famille qui n’en aurait que le nom. Elle retint les larmes qui lui montèrent aux yeux.
Oliam l’observa tout le temps que dura sa réflexion, il imaginait aisément ce qu’elle pouvait penser : elle était jeune et avait sûrement des rêves qu’elle devrait laisser derrière elle, son père l’avait toujours surprotégée et lui ne lui proposait qu’une vie pleine de rudesse et de travail. Aurait-elle les épaules assez solides pour supporter cette épreuve ?

Le silence s’éternisa et il reprit :
« Je me doute que le choix n’est pas aisé. Au final, je ne vous offre pas grand-chose par rapport à ce que vous perdrez. Je comprendrai si vous refusez ma proposition et ne m’en offusquerai pas. »
Emma le dévisagea pour la première fois depuis qu’elle l’avait rencontré. Il n’était pas particulièrement beau mais avait malgré tout du charme. Se lever chaque jour à ses côtés ne serait pas un tourment. Il semblait sincère et son offre était honnête : il lui procurait un lieu sûr où elle pourrait se reconstruire par un honorable labeur. Il se montrait compréhensif et patient ; c’est ce dernier détail qui la décida.
Elle lui tendit une main gracile et prononça d’une voix ferme :
« Si les modalités de notre union vous convient, scellons-la ! »

Il lui serra la main en signe d’accord. Ils restèrent encore un temps à regarder l’horizon ne sachant de quoi demain serait fait avant de rejoindre la Doyenne et Réard.

Les épousailles furent fêtées en grandes pompes. Emma profita de la journée et découvrit le clan qui deviendrait sa famille. Étonnamment, elle se sentit à l’aise au milieu de ces inconnus. Elle fit cependant attention à chacun de ses gestes, ne s’éloignant jamais trop loin de son époux, s’attachant à chacune des traditions de sa nouvelle patrie. Elle s’était acharnée à les mémoriser la semaine précédente, sous l’œil attentif de la Doyenne qui fut impressionnée par sa persévérance ; elle savait pertinemment qu’on l’observerait attentivement, cherchant une faille dans son attitude et elle ne comptait pas s’offrir en pâture aux mauvaises langues. Finalement, l’ambiance fut amicale, elle ne sentit ni méchanceté ni jalousie, le clan Nampot l’avait acceptée telle qu’elle était.
Seul Clavain, le fils aîné d’Oliam, se montra hostile envers elle. Il avait six ans et une bouille d’ange, pourtant, le regard qu’il posa sur la jeune mariée lui fit froid dans le dos : il l’observait fixement, ne détournant quasiment pas les yeux, attendant le moindre faux pas.

Son époux, quant à lui ne remarqua rien, il semblait heureux au milieu des siens. Il n’aimait pas particulièrement être le centre d’intérêt mais il s’y accommoda pour une journée. Le soir, il tint promesse et ne toucha pas Emma. Il respecta cependant la tradition en l’aidant à ôter sa lourde robe claire. Cela la gêna terriblement, mais elle n’eut pas le choix : elle n’aurait jamais pu s’en libérer seule vu le harnachement utilisé.
Une fois en chemise de nuit, elle assista également son compagnon dans le déboutonnage de sa tenue de cérémonie. Ils s’allongèrent côte à côte. La jeune femme s’endormit rapidement, les émotions de la journée l’avaient épuisée. Quant au marié, il eut plus de mal à trouver le sommeil, il repensait à chacun des moments passés auprès de sa nouvelle épouse. Si elle s’était montrée timide le matin, à mesure que les heures s’étaient écoulées, l’angoisse et l’humilité avait laissé place aux sourires et à l’aisance. Il l’avait découverte sous un nouveau jour, l’avait trouvée particulièrement charmante et regrettait presque le marché conclu au bord du lac quelques jours auparavant.

 

Oliam ne resta pas longtemps à Falchia. C’était la pleine saison pour le commerce maritime et en tant que second d’un navire marchand, il se devait d’être à son bord au moment du départ. Il s’absenta des semaines.
Cela parut long à Emma. Non pas qu’elle attendait son retour mais elle avait beaucoup de mal à tout gérer. La cousine d’Oliam, Tiara, était gentille et aidait bien à l’entretien de la maison, néanmoins, cette dernière n’intervenait jamais lorsque Clavain se montrait capricieux. Il répondait constamment à sa belle-mère, entraînait Roman, son cadet de trois ans, à faire des bêtises ; ce dernier avait plusieurs fois failli mal finir. Emma avait bien tenté de lui imposer quelques règles de sécurité, mais il fuyait et la faisait courir inutilement après lui, n’ayant aucune pitié pour elle. Elle ne parvenait pas à s’affirmer et subissait la tyrannie de son beau-fils. Le soir, elle s’allongeait, le dos douloureux, et s’endormait en pleurant silencieusement.
Oliam revint à deux reprises cet été-là. Il observa attentivement les attitudes des uns et des autres, le petit jeu qui se déroulait sous ses yeux mais il ne bougea pas. Intervenir aurait été pire que de ne rien faire, montrer à son fils qu’elle était incapable de le maîtriser seule aurait donné une prise plus grande au despotisme du gamin. Il était absent la moitié de l’année, il fallait qu’ils s’arrangent entre eux, qu’ils apprennent à vivre ensemble sans lui.
Pourtant, au bout de quelques jours, il se résigna et se sentit obligé de signifier son soutien envers son épouse. Il prit donc son aîné à l’écart, le sermonna gentiment, lui demanda d’être plus gentil avec Emma et de l’aider un peu dans ses tâches. Le marmot promit de faire des efforts mais une fois son père parti, il fut encore plus ignoble.

L’automne arriva, et avec lui, les festivités marquant le changement de saison. Oliam revint peu avant les premiers frimas. Il n’était pas le seul fils prodigue de retour en ville et le village de Falchia savait qu’ils pourraient alors compter sur eux pour aider les uns ou les autres avant l’hiver. Une grande réunion fut organisée afin de répartir les tâches des habitants, suivie d’un moment convivial permettant à chacun de discuter et de se retrouver.

Emma serait volontiers restée à la maison afin de se reposer. Elle en était à son dernier mois de grossesse et son dos la faisait atrocement souffrir tout au long du jour, seule la position allongée la soulageait. Pourtant, elle avait accompagné son époux. Clavain et Roman les avaient accompagnés, cela leur donna l’occasion de jouer avec leurs amis. Mais l’aîné ne comptait nullement rester sage. Il suffit d’une minute d’inattention de la part d’Emma pour que celui-ci se faufile et disparaisse dans la foule. Ils passèrent un certain temps à le chercher, anxieux à l’idée qu’il ait concocté une bêtise fatale. Oliam savait son fils difficile depuis son remariage, il aurait aimé l’avoir sous la main pour lui donner une bonne correction et lui faire passer l’envie de recommencer ce genre d’escapade ; il était en colère et ne pouvait pas passer ses nerfs sur Clavain cependant Emma était là, elle avait laissé la situation empirer jusqu’à ce que son fils fugue, elle était incapable de s’occuper de ses enfants. Il ne put s’empêcher de lui en vouloir et lui lança un regard noir.

Lorsque la moitié du village se mit à sa recherche, Roman réalisa la gravité de la situation et avoua, tout penaud, savoir où était son grand frère : il était parti voir Tiara qui lui avait promis de lui offrir des biscuits la prochaine fois qu’il se rendrait chez elle.
Oliam et Emma laissèrent le petit aux mains de sa tante et allèrent chez la Doyenne, étant donné que c’était là-bas que la cousine vivait jusqu’à ce qu’elle prenne mari. Ils trouvèrent Clavain assit tranquillement à la table de la cuisine, mangeant des gâteaux et discutant avec ses hôtes. Lorsqu’Emma le vit, elle ne put se retenir : elle le saisit par le bras, l’obligeant à se lever, à se tenir face à elle et lui demanda d’une voix à la limite de l’hystérie des explications sur sa disparition. Le gamin lui rit au nez, se mit à l’insulter et à lui donna des coups de pieds dans les chevilles. C’en était plus que ce qu’Oliam pouvait supporter, si elle était incapable de l’éduquer convenablement, il allait le faire à la force de ses poings si nécessaire.

Il s’interposa, prit violemment le gamin par le col et tempêta furieusement :
« Cela suffit ! Cela dure depuis bien trop longtemps, maintenant ! Je ne t’ai pas élevé ainsi ! Tu vas t’excuser auprès d’Emma !
— Jamais je ne m’excuserai ! Elle n’est qu’une sale huppe ! Elle me donne des ordres ! Elle n’en a pas le droit ! Elle n’est pas ma mère ! »
Oliam ne sut quoi dire sur le moment, il n’avait jamais entendu son fils parler ainsi. Il ne savait plus quoi faire, il n’avait encore jamais levé la main sur ses enfants, peut-être n’avait-il plus le choix ; il serra les dents et la rage prit alors le pas sur la stupeur, il resserra la prise sur le col du gosse et l’avertit :
« Je vais t’apprendre à respecter tes aînés et à te montrer poli ! »

À l’instant où il leva le poing pour frapper, la Doyenne et Tiara se mirent à hurler d’horreur, mais c’est Emma qui s’interposa, elle s’agrippa à son poignet le suppliant de ne pas faire cela.
De rage, il la poussa et fulmina :
« Je n’aurais pas à le faire si tu étais capable de le discipliner ! »
Elle se rattrapa tant bien que mal au coin de la table. Oliam se tourna vers son fils recroquevillé et tremblant. Sa colère retomba d’un seul coup. Il entendit des gémissements dans son dos. Emma tenait difficilement sur ses jambes, la Doyenne et Tiara la soutinrent et l’aidèrent à s’asseoir. Il aperçut une flaque trouble au sol, elle venait de perdre les eaux, elle avait un bon mois d’avance ; des sueurs froides coururent le long de sa colonne vertébrale, qu’avait-il fait ?

L’accouchement dura une douzaine d’heure et fut difficile en raison de l’étroitesse de son bassin. L’accoucheuse eut bien des soucis et redouta de perdre la mère aussi bien que l’enfant, mais son savoir-faire et la chance furent avec elle. Emma eut un fils qu’ils appelèrent Alistair ; en dantoplyen, ali signifiait astre ou étoile, selon le contexte, et stair pouvait se traduire par sacré.

 

Les jours et les semaines passèrent sans que rien ne viennent perturber leur nouvelle vie. Emma passait beaucoup de temps à s’occuper du nouveau né. Oliam, présent tout l’hiver l’aida au mieux. Les relations avec Clavain s’étaient améliorées depuis que la jeune femme avait pris sa défense : ils avaient eu une longue discussion sur son comportement et il changea du tout au tout, il se montra bien plus sage et discipliné.

Une fois le printemps revenu, Oliam repartit en mer. Ce furent des moments difficiles pour chaque membre de cette famille : Emma se sentit soudain très seule, l’entretien d’une maison n’avait plus de secret pour elle, Tiara n’avait donc plus de raison de venir aussi souvent. Pour oublier sa solitude, elle ne se posait pas un instant et lorsque les tâches ménagères étaient terminées, elle jouait avec les enfants. Les journées passaient à une allure folle et ne lui laissaient pas le loisir de penser à sa solitude ; le soir, il en était autrement. Son époux lui manquait. Lorsqu’il était là, ils couchaient leurs fils, ensemble, puis discutaient et riaient au coin du feu avant d’aller dormir chacun dans son lit respectif.
La saison fut chargée, Oliam ne revint pas plus de quelques heures en l’espace de cinq mois. La guerre approchait, la résistance dantoplyenne avait repris du service et le clan Nampot s’était engagé à transmettre quelques informations sensibles par voie navale : il n’y avait qu’un seul marin au sein de cette famille et c’est lui qui, faisant fi du danger, s’acquittait de cette tâche au mieux, n’ayant à penser qu’à sa propre survie puisque les siens étaient en sécurité à Falchia.

 

Fin